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Frais d’abonnement, frais étudiant, loi des collèges.


Récemment, un bibliothécaire du niveau collégial posait la question de la possible tarification des étudiants pour leur permettre d’accéder aux bases de données. Il est étonnant que la question posée ait reçu des réponses positives. Il est même étonnant que la question ait été posée !

Voici pourquoi !


L’enseignement collégial est gratuit. Oui les étudiants paient des sommes forfaitaires pour tels ou tels services, les frais de scolarité représentent une somme quasi nulle 2$ par crédit. Les montants demandés par les collèges font l’objet d’un dépôt à chaque année au Conseil d’administration des collèges. En déposant la liste des frais exigés par le collège aux étudiants au Conseil d’administration, le collège, par la suite, l’achemine au Ministère qui chapeaute l’enseignement collégial (pour le moment c’est le ministère de l’Éducation et de l’Enseignement supérieur).

C’est une obligation légale. Ces frais font l’objet d’une analyse, car l’enseignement collégial, comme tous les secteurs de l’enseignement public préuniversitaire, est gratuit. Sauf bien sûr lorsque l’on parle d’enseignement privé. Le tout est redevable à la Loi sur les collèges[i]. Les règles budgétaires viennent chaque année fixer les montants que peut demander un collège à ses étudiants, ceci selon leurs statuts (étudiants du Québec, hors Québec, mais canadiens, hors Québec, étranger). Ces statuts sont nombreux, mais les collèges par leur Conseil d’administration doivent annuellement déposer au Ministère la liste de l’ensemble des sommes qu’ils demandent à ses étudiants. À l’occasion, un collège peut se voir refuser certaines sommes. Cet exercice se fait par l’adoption, habituellement d’un règlement sur les frais afférents et autres, par le Conseil d’administration du collège.

Voici les règlements touchant les frais qu’un collège peut demander :

· Chapitre C-29, r. 2, Règlement sur les droits de scolarité qu'un collège d'enseignement général et professionnel doit exiger

Voir un exemple complet de l’application de cette loi proposer par le Cégep de l’Outaouais[ii].

Normes, principes et accès


La mise en place du réseau des collèges visait l’accès à l’éducation supérieur à la population en favorisant l’accès gratuit à tous. L’objectif de l’accès gratuit était basé sur un concept de démocratisation de l’éducation, démocratisation relativement réalisée aujourd’hui, malgré la faible présence des catégories sociales à faible revenu, par rapport aux niveaux de revenus plus élevés et aussi de la discrimination systémique de certaines catégories de citoyen (les Amérindiens entre autres) et surtout les femmes qui d’une manière ou d’une autre doivent encore lutter pour une reconnaissance pleine et entière de leur droit. Même si un progrès nous amène à constater qu’elles représentent maintenant une majorité dans les programmes de premier cycle universitaire, leur présence dans le deuxième et troisième cycle demeure, malgré une progression relative, inéquitable. Lorsque l’on parle des femmes amérindiennes au Canada, le niveau de scolarisation est très faible, mais il est supérieur à celui des hommes amérindiens.

L’accès aux études, même si la progression est constante pour tous, n’est pas encore une réalité que l’on peut qualifier d’équitable. Si nous considérons comme principe important qu’un établissement d’enseignement soit accessible à l’ensemble des citoyens, il faut aussi maintenir des règles d’accès les plus bas possible, règles qui permettent l’accès aux personnes les moins riches à l’éducation et au savoir[i].

Austérité, néolibéralisme = âge de pierre


Si ce titre est un peu baveux, je ne m’en excuse pas trop. Pour certains, l’austérité c’est ce qui se passe chez les voisins. Certaines personnes travaillent fort pour soutenir que nous devrions laisser de côté la sécurité d’emploi. D’autres croient que leur libre arbitre, leur détermination et leur succès ne dépendent que d’eux. Ils sont une sorte d’espèce humaine qui réussit tout ce qu’elle entreprend, comme le lion, le roi de la jungle. Bravo pour ces gens!

Je me permets, vu que j’ai un certain âge, de rappeler que l’austérité ce n’est pas qu’un concept. C’est une réalité. Cette réalité est cyclique, comme les crises de croissance de l’économie. Cette réalité laisse sur le parvis, des personnes, des humains, qui par un moyen ou l’autre, tentent, tant bien que mal de survivre… L’éducation, la scolarisation ou la diplomation sont des moyens qui aident à mieux se sortir des effets de l’austérité. Par contre, la scolarisation ne fait pas de ces personnes des posthumains. Les coupures de poste, les fermetures du marché du travail, l’augmentation des frais de service, etc. touchent tout le monde. À l’occasion on peut éviter un effet, d’autre fois un autre effet, mais globalement, tous, nous avons à faire face à des situations qui sont souvent non évitables. L’histoire des bibliothèques de collège est une longue histoire qui repose sur des faits bien circonscrits :

  1. Baisse absolue du financement depuis la mise en place des collèges aux alentours de 1968[ii];
  2. Baisse absolue des professionnels dans les bibliothèques de collège depuis la fondation de ces derniers;
  3. Baisse absolue de l’importance dans les réformes de programmes, dans l’organisation de la structure d’apprentissage, etc. du rôle de la bibliothèque et du personnel professionnel et technique[iii];
  4. Changement du rôle de de la gestion des bibliothèques dans l’ensemble de l’organisation institutionnelle des collèges[iv].

Si on ne connait pas cette situation, ou si on la trouve normale, je comprends que l’on pense que la solution c’est l’utilisateur – payeur. Mais je me demande comment pourrait-on identifier qui est l’utilisateur. Qui utilise tel ou tel service ? Pourquoi viser les bases de données ? Pourrait-on charger le temps qu’un étudiant utilise une chaise à la bibliothèque, le nombre de fois qu’il pose une question, ou le nombre de fois, ce qui créerait des emplois de madame ou monsieur pipi, que l’étudiant utilise les cabinets ! Où s’arrête la tarification ? Peut-être aussi devrions-nous tarifer à la compréhension que l’étudiant a d’un texte après sa lecture. Ainsi s’il comprend bien des choses, on charge le gros prix, si l’étudiant ne retient pas grand-chose de sa lecture, le cout d’utilisation sera moindre. C’est sans aucun doute le meilleur moyen d’éduquer ! Le capital humain dans sa version transhumaine… un lecteur optique au front, un outil de mémorisation en parallèle du cerveau (cette chose aux prises avec des ratés nombreux), des chocs électriques qui contrôleraient le droit de prendre position, des implants géospatiaux pour être repéré à l’infini et d’autre pour corriger le comportement asocial… en somme un robot machine à sous ! Résultat : un robot dont le seul faire-valoir est le strorytelling du néo-libéralisme et sa domination volontaire. « L’élevage, ou la domestication génétique de l’humain » comme le dit très justement Philippe Robert-Demontrond et Jean-Luc Despois, dans « La domestication biotechnologique de l'humain. », publié dans la Revue internationale de psychosociologie en 2002[v].

Au lieu de demander aux étudiants des sous, il faudrait se poser la question de la liberté d’apprendre, celle de l’accès au savoir et de l’universalité de l’entendement humain. C’est probablement là que l’expérience humaine à plus de chance de s’émanciper et non de décliner dans le transhumanisme technoscientifique défendu par une grande partie des néo-libéraux. Au lieu de s’interroger sur l’implantation à tout prix du numérique, pourquoi ne pas se limiter à l’achat du tangible… et avant de ne plus pouvoir répondre à nos usagers que par des médias sociaux les plus abrutissants les uns que les autres, pouvoir s’assoir et échanger. Il y aurait long à dire sur la banalisation… surtout pour nous qui dans l’éducation visons le partage des connaissances et non, du moins je l’espère, sa marchandisation[vi].

Notes


[i] Chapitre C-29. Loi sur les collèges d'enseignement général et professionnel

[ii] Règlements sur les frais exigibles des étudiantes et étudiants du cégep de l’Outaouais – 2015-2016, qui comme chaque règlement sur ce sujet, après avoir été adopté par le CA, est acheminé au Ministère.

[iii] Voir à ce sujet les Standards for Libraries in Higher Education de l’ACRL pour plus de précision concernant les « objectifs » qu’une bibliothèque devrait proposer et défendre dans sa pratique : là encore, rien sur une tarification autre que des droits de scolarité…

[iv] Voir les articles de Lajeunesse et autres aux différentes phases de désengagement des gestionnaires de collège face aux sommes nécessaires au fonctionnement des bibliothèques.

[v] Indice de cela, combien de fois une bibliothèque a-t-elle été consultée lors des changements de programme par la direction des études. Combien de bibliothèques ont reçu une réévaluation de leurs budgets après l’arrivée de nouveaux programmes ou la modification de ces derniers? Combien ?

[vi] Au début des collèges, le bibliothécaire avait, en bonne partie, un statut de gestionnaire (cadre). Lentement, mais surement, à chaque départ, le maintien des postes n’a pas été fait, les tâches de ceux qui restent augmentent, les nouveaux dossiers s’ajoutent à la tâche des nouveaux, ceci sans qu’il y ait contestation. Il n’y a pas de limite à ce que l’on voie s’imposer comme une « norme » bien québécoise en bibliothéconomie. Ne vous en faites pas, bientôt les renouvellements de bases de données passeront directement par le service des finances et j’entendrai encore quelqu’un dire « je ne sais pas ce que j’ai en budget d’acquisition »… et ils achèteront directement aux distributeurs les livres. Faire du choix, avoir une politique de développement des collections… ce n’est plus nécessaire !

[vii] URL : www.cairn.info/revue-internationale-de-psychosociologie-2002-19-page-177.htm. DOI : 10.3917/rips.019.0177.

[viii] Pour ceux qui aimeraient aller plus loin : Maura Seale; « Enlightenment, Neoliberalism, and Information Literacy » in Canadian Journal of Academic Journal, Vol. 1, no. 1, 2016, pp. 80-91 et Ian Beilin; « Student Success and the Neoliberal Academic Library » in Canadian Journal of Academic Journal, Vol. 1, no. 1, 2016, pp. pp. 11-23. Accessible par l’Internet : http://www.cjal.ca/index.php/capal/issue/view/1726 . Plus ancien, mais intéressant : Brian Quinn; « The McDonaldization of Academic Libraries? » in College & Research Libraries, May 2000, vol. 61 no. 3 248-261 CLIQUEZ ICI


 


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