« Il faut quitter le calme rassurant des utopies et des prophéties,
fussent-elles catastrophiques, pour descendre dans le mouvement, déconcertant,
mais réel, des relations sociales. » Lettre à une étudiante, Alain Touraine.
J’aimerais offrir mes condoléances
à la famille et aux proches de Denis. Pour la plupart, je n’ai qu’entendu un
nom au cours d’une conversation que j’eus ces dernières années avec Denis. Pour
d’autres, vous faites partie des employés du cégep donc j’ai une connaissance
assez précise de qui vous êtes. Je suis de tout cœur avec vous dans cette peine
d’avoir perdu un être cher ou un collègue ou les deux à la fois !
Quelques mots pour Denis
Dans un premier temps, j’aimerais
dire que la bibliothèque du Cégep de Trois-Rivières perd un de ses amis. Denis,
tu étais l’un de nos « clients » réguliers : demandes d’achats
de livres, discussions sur les ouvrages disponibles pour tel ou tel sujets,
commentaires ou simplement discussion à propos d’une recherche, celle sur les
carrés rouges par exemple, ta préparation pour tes cours pour l’automne 2014,
etc. À chacune de tes visites, tu avais
de bons mots pour tout le personnel à qui tu parlais. Il n’y avait pas de
grandes ou de petites personnes. Il y avait des collègues.
Tu venais aussi avec tes
étudiants, des classes complètes brisaient ainsi le royaume du silence. On
abattait avec toi certaines idées de ce qu’est ce lieu… Tu voulais qu’ils
utilisent la bibliothèque pour devenir des individus qui sauraient trouver, au
besoin, des réponses lorsqu’ils se poseraient des questions dans leurs vies.
Denis, tu étais un cultivateur de savoir… un déclencheur de curiosité… un homme
qui voulait ouvrir la conscience des jeunes… une personne qui voulait que
chacun ouvre son esprit à l’autre et au monde. C’est par l’action de
« comprendre le monde» que nous pouvons nous mettre à la conquête du
bonheur et commencer à vivre en toute humanité. Croire que le monde c’est nous
et que nous pouvons le rendre meilleur pour tous, c’était ta praxis ! C’est ce
message que tu portais dans ton travail d’éducateur.
En ce sens, venir avec tes
étudiants à la bibliothèque, c’était ouvrir le monde des connaissances à ces
jeunes. C’était leur proposer l’inconnue et l’utopie. Certains témoignages
confirment cet état de fait.
Tu étais, Denis, un gars généreux
de ton temps. Tu écoutais, capacité humaine en voie de disparition. Tu prenais le temps, si rare dans ce monde de
vitesse et de superficialité. Sinon, tu revenais pour rouvrir le débat jamais fermé.
Il en roulait des idées dans ta tête, la
circulation était lourde, mais écologique… Ta seule orthodoxie était celle du constat que
la société capitaliste et néolibérale n’était pas égalitaire, qu’elle créait et
maintenait une grande partie de la population dans un état de dépendance
économique et sociale. Qui peut te reprocher cela, sinon celui qui ne voie pas
plus loin que le bout de son nez !
Quelques mots pour ceux qui restent.
Lorsque je perds une personne que
j’aime et que je respecte, j’ai souvent tendance à lui trouver un équivalent
littéraire. Ici, c’est à Vaclav Havel que j’identifie Denis. Je le faisais un peu
secrètement jusqu’ici, maintenant tu resteras dans mon esprit comme un
dissident, mais un dissident dont l’objectif était de toujours donner des
forces aux sans-pouvoirs, comme Havel. Je crois que tu serais heureux de cette
comparaison. En passant, mon deuxième choix était Milan Kundera, ce qui ne
serait pas un mauvais choix non plus… sur la bureaucratie et la vie, il a écrit
de merveilleux romans.
Havel citait ceci, il y a presque
quinze ans, en reprenant un texte de son ami dissident le philosophe Jan
Patocka :
« L’épreuve réelle d’un homme ne consiste pas dans la façon dont
il réalise ce qu’il décide de faire, mais dans la façon dont il réalise le rôle
que le destin lui a assigné » (Havel, Interrogatoire à distance, Christian
Bourgois, 1991, p. 97.)
Ces deux lascars sont tous les
deux des signataires de la Charte 77, charte qui dénonçait le non-respect des
droits de l’homme en République de Tchécoslovaquie. La vie de Havel est double.
D’un côté la recherche de la liberté pour les deux peuples qui constituaient la
Tchécoslovaquie de l’époque (aujourd’hui deux états distincts), puis, de
l’autre côté, Havel est l’auteur d’une
œuvre théâtrale très importante, qui quoique théâtrale est aussi politique. Il
terminera sa vie comme président de la Tchécoslovaquie libéré du joug du
socialisme d’État léniniste puis comme simple citoyen-écrivain.
L’œuvre de Havel, comme celle
philosophique de Patocka, traverse les interventions de Denis. Sans que ce dernier
ait lu ces auteurs, il me confiait cela l’an dernier, il était quand même très
près de ces derniers au niveau de la pensée et de la pratique.
Un ange est passé. Je pense que
Denis avait une volonté de bonté. Faire plaisir! Non ! Faire le bonheur ! Trouver
le meilleur en soi pour avancer, ne pas renoncer, douter, mais ne jamais
renoncer. Prendre des vacances, souper avec son amoureuse, son fils et tous
ceux qui de près ou de loin l’accompagnaient dans son quotidien avec ses
bonheurs et ses peines. Le monde est dur à porter. J’espère que tous, nous
avons été, qui que nous fussions pour lui, de bons compagnons de route et, qu’à
l’occasion nous lui donnions un coup de main pour porter un bout du monde. La
tâche est toujours là et le monde un peu plus pesant aujourd’hui, car nous
n’avons plus tes bras Denis pour le supporter ensemble.
Salut ancien collègue de
sociologie, semeur d’émancipation et de liberté, pour le bien commun. C’est le rôle
que tu t’étais assigné, en suivant ton destin !
Roger Charland
Bibliothécaire professionnel
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